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  • Asia Bibi en février 2020 à Paris
  • La journaliste française Anne-Isabelle Tollet avec Asia Bibi
  • Officier de police devant une église au Pakistan
  • Pakistanaises chrétiennes en prière

ASIA BIBI : Rencontre avec une icône

De passage en France, Asia Bibi y a demandé l’asile politique. La Pakistanaise chrétienne dont l’AED suit le sort depuis sa condamnation, en 2010, nous a accordé un entretien.

De toute évidence, Asia Bibi est fatiguée. Interviews et rencontres protocolaires occupent les quelques jours qu’elle passe en France. Elle sourit pourtant aux photographes qui multiplient les clichés, et se prête vaillamment à l’enchainement des interviews : « C’est grâce aux médias que je suis encore en vie », assure-t-elle.

Victime d’une loi absurde

Elle doit tout particulièrement la fin de son calvaire à la journaliste française Anne-Isabelle Tollet, qu’elle appelle « sa sœur », et qui l’a assistée dans la publication du livre « Enfin libre ! » (éditions du Rocher). Cette autobiographie rapporte comment la paysanne pakistanaise catholique est devenue une icône mondiale de la résistance au fondamentalisme islamique. Accusée de blasphème par ses voisins musulmans, Asia Bibi a passé neuf ans en prison, sous la menace d’être exécutée après avoir été condamnée à mort. La loi anti-blasphème, au Pakistan est souvent invoquée pour régler de simples conflits de voisinage et a des conséquences funestes. Ceux qui sont accusés sont souvent lynchés par des foules en colère ou « disparaissent », « suicidés » en prison. La médiatisation d’Asia Bibi l’a sauvée de ce sort. Acquittée en appel par la Cour suprême pakistanaise le 31 octobre 2018, elle a pu finalement, après de nombreuses péripéties, se réfugier au Canada le 8 mai 2019 grâce à la pression internationale. À présent, il existe une « jurisprudence Asia Bibi » qui permet à ceux qui sont accusés de blasphème de se retourner contre leurs accusateurs. La loi anti-blasphème existe toujours au Pakistan, mais on prend désormais un risque en y recourant pour faire du tort à quelqu’un.

« Nous sommes chrétiens depuis plus de mille ans »

« Jamais je n’aurais imaginé devenir célèbre », assure Asia Bibi de sa petite voix discrète. Elle raconte une enfance heureuse dans son Pakistan natal : « Je jouais avec les voisines musulmanes, il n’y avait pas de séparation », se souvient-elle avec nostalgie. Baptisée à l’âge de huit ans, elle peut vivre sa foi sans difficulté. Faisant référence à son héritage religieux, elle rappelle l’ancienneté des chrétiens pakistanais :« Nous sommes chrétiens depuis plus de mille ans ». Pourtant, en grandissant, elle se rend compte que des différences séparent chrétiens et musulmans dans son pays. Elle entend parler d’incidents contre les chrétiens. Certains sont lynchés par des foules en colère. Il arrive aussi que des musulmans en mal d’épouses enlèvent de jeunes chrétiennes et les convertissent de force pour les épouser.

Les chrétiens sont « impurs »

Elle découvre aussi que les musulmans considèrent les chrétiens comme impurs. C’est à cause de cette croyance que sa vie a basculé un jour de forte chaleur, le 14 juin 2009. Alors qu’elle travaille avec des voisines musulmanes, on lui demande d’aller chercher de l’eau. Elle obéit, puisant l’eau, puis boit le contenu d’un gobelet avant d’apporter le récipient. Une des femmes refuse de boire car Asia a rendu le liquide « impur ». Asia Bibi se défend en disant qu’elle ne croit pas que le prophète Mahomet serait d’accord. Ce à quoi on lui répond qu’elle vient de commettre un blasphème ! S’ensuivent la prison, la fuite de sa famille menacée par des intégristes, la condamnation à la pendaison… Une saga judiciaire qui a connu une fin heureuse en 2019. Aucune colère ne transparaît quand elle évoque cette période si éprouvante de sa vie, seulement de la tristesse et de la fatigue.

Il y a d’autres « Asia Bibi »

Mais Asia sait qu’elle n’est pas seule dans sa condition, et elle veut utiliser le micro que l’on lui tend pour porter la parole de ceux qui sont encore sous le coup d’une accusation de blasphème dans son pays natal. Elle s’anime et sa voix jusqu’alors discrète prend de l’assurance : « Pendant ma détention, j’ai tenu la main du Christ, c’est grâce à lui que je suis restée debout, n’ayez pas peur ! » Devant sa vivacité retrouvée, on devine la femme de caractère que dix ans d’épreuves terribles ne sont pas parvenu à abattre. Cette même femme, qui n’a jamais accepté de quitter sa famille ou de renier sa foi, comme on le lui a demandé après son arrestation, pour échapper à la condamnation.

Elle a toutefois dû quitter son pays. Elle nourrit l’espoir d’y retourner un jour : « C’est ma terre natale, j’aime passionnément le Pakistan ! » assure-t-elle. En attendant, elle souhaite trouver refuge en France : « J’ai trouvé beaucoup d’amour ici, je crois que je serais bien avec vous ».