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Bosnie-Herzégovine - Les oubliés

Le 6 avril 1992, éclatait la guerre en Bosnie-Herzégovine, nation des Balkans. Elle n’a officiellement pris fin que le 21 novembre 1995, avec la signature de l’Accord de paix de Dayton – un traité de paix provisoire faisant de la Bosnie un semi-protectorat des Nations Unies. La Bosnie est aujourd’hui divisée entre trois groupes ethniques : les Bosniaques, les Serbes et les Croates. Bien que, sur le papier, ils soient considérés à égalité, les frustrations nourrissent une dangereuse spirale : les Bosniaques musulmans se tournent de plus en plus vers la Turquie et le monde islamique. Les Serbes orthodoxes, sont soumis majoritaires à l’influence de la Russie, tandis que les Croates catholiques, qui forment le plus petit des groupes ethniques, se penchent vers l’Europe. L’accroissement des conflits internes met en danger l’avenir du pays et complique son adhésion - prévue - à l’Union Européenne.

De 1992 à 1995, c’est une guerre brutale qui a fait rage dans la petite nation balkanique de Bosnie-Herzégovine, où l’on estime qu’au moins 100 000 personnes ont été tuées et plus de deux millions ont été déplacées. Bien que tous les combattants aient payé un prix terrible, c’est sans doute la communauté catholique croate, minoritaire, qui a le plus souffert et continue de souffrir. Encore aujourd’hui, de nombreux villages croates situés au cœur de la Bosnie, qui avaient été détruits pendant la guerre, restent vides. Comme l’explique le journaliste croate Zvonimir Čilić, rien que dans sa ville natale de Vitez, les musulmans de Bosnie ont tué 653 personnes, laissant plus de 460 veuves et 600 enfants orphelins ou n’ayant plus qu’un seul parent – le tout en l’espace de 316 jours. 

L’atrocité des violences infligées aux Croates catholiques est due en grande partie à une idéologie islamiste radicale, importée lors de l’arrivée de mercenaires moudjahidines étrangers. Cachés en périphérie des centres urbains tels que Sarajevo, Tuzla, Zenica et Bihac, et dans des villages isolés tels que Dubnica, Ošve, Gornja Maoča ou Bočinje, ces extrémistes se sont rassemblés dans 22 appelés « para-jamaats » où ils ont été et sont encore aujourd’hui financés par les États du Golfe.

Même après la fin officielle de la guerre, alors que les Croates commençaient à revenir chez eux, des bandes d’extrémistes islamistes errants continuaient de les tuer lors d’attaques terroristes. Zvonimir Čilić raconte ainsi que « sept membres de notre communauté ont été tués sur leur lieu de travail en 1997, 1998 et même après, dans le but d’empêcher le retour de ceux qui avaient été chassés ». À ce jour, aucun de ceux qui ont commis des attaques terroristes contre les rapatriés catholiques de Travnik n’a été traduit en justice.

Le Père Željko Maric, directeur de l’école Peter Barbaric, explique : « Travnik était un endroit agréable à vivre avant la guerre. C’était un centre industriel. Le Travnik d’après-guerre, c’est une autre histoire. Les gens n’ont pas de travail. Beaucoup de gens ont été tués, ont perdu leur maison ou des personnes qui leur étaient chères. Ces blessures n’ont pas guéri. Ici, il y a des familles divisées, de l’émigration, des lieux de travail détruits, et un manque d’emplois. Il n’y a pas de perspective et les jeunes partent ».

Un autre problème est la discrimination à laquelle sont confrontés les rapatriés catholiques dans la vie civile et religieuse : alors que tous les biens des communautés musulmanes leur ont été restitués depuis la fin de la guerre, de nombreux biens de l’Église ne lui ont toujours pas été remis, malgré des décisions de justice rendues en sa faveur au niveau de la Cour européenne des droits de l’Homme. Ne pouvant avoir confiance en un état de droit, et confrontés à un taux de chômage élevé, pouvant atteindre dans les villages la barre des 50%, les jeunes catholiques croates sont ainsi poussés à émigrer. Selon le Cardinal Vinko Puljic, archevêque de Sarajevo, jusqu’à 10 000 catholiques quittent la Bosnie-Herzégovine chaque année. La capitale dont le caractère multiethnique était autrefois tant vanté abritait avant la guerre une population de 35 000 croates. Aujourd’hui, il n’en reste plus que la moitié. Au total, selon les données officieuses de l’Église catholique, il ne demeure plus que 380 000 catholiques dans les quatre diocèses de Bosnie-Herzégovine.

 

En revanche, le nombre de musulmans arrivant en Bosnie en provenance de Turquie ou des États du Golfe a fortement augmenté au cours des dix dernières années. Des centres commerciaux construits par des investisseurs arabes ainsi que des « centres arabes » ont vu le jour dans toute la Bosnie et, si les travaux se poursuivent à ce rythme, il y a aura bientôt des capacités d’hébergement pour 100 000 personnes. Selon les données de 2018 publiées par la communauté musulmane locale, il y a 1 912 mosquées dans le pays, dont 554 ont été construites ou reconstruites après la fin de la guerre. L’architecture révèle l’origine étrangère des financements et les ambitions expansionnistes de courants musulmans nouveaux et concurrents : des courants conservateurs de l’islam sunnite venus principalement d’Arabie saoudite, et de l’islam chiite d’Iran. En taille, la mosquée Roi Fahd, construite par les saoudiens en l’an 2 000, est le deuxième lieu de culte musulman sur le territoire des Balkans. En outre, selon un rapport du Conseil de l’Europe de 2017, 245 différentes organisations humanitaires arabes ont opéré en Bosnie au cours des 20 dernières années, dont plusieurs financent la promotion d’un islam conservateur.

La radicalisation de la population musulmane locale a non seulement suscité de vives préoccupations quant à l’harmonie interreligieuse qui existait historiquement en Bosnie, mais elle a aussi exacerbé les tensions au sein de l’islam. Les musulmans de Bosnie ne se félicitent pas de l’introduction récente de ces tendances fondamentalistes et craignent qu’elles déforment la compréhension bosniaque traditionnelle de l’islam, longtemps connue pour sa tolérance et l’acceptation de la diversité religieuse. Le professeur Dzemaludin Latic, de l’Université d’études islamiques de Sarajevo, soutient que : « La politique saoudienne en Bosnie est souvent erronée. La politique iranienne en Bosnie est souvent fausse. Les saoudiens n’ont aucune considération pour la société multiethnique qui existe ici. Et les iraniens n’ont aucune idée de notre destin sur place, car ils ont propagé le chiisme. Cela complique encore plus notre situation locale ».

Le Dr Stipe Odak, de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université catholique de Louvain, en Belgique, explique qu’une bataille organisationnelle et idéologique a commencé contre les groupes salafistes radicaux importés. Ne respectant pas la règle musulmane, ils ont eu le choix d’intégrer l’organisation standard de la communauté islamique bosniaque, ou alors de se dissoudre. Pour l’instant, les efforts sont encore infructueux. M. Odak estime qu’un élément économique complique la situation : les para-jamaats financés par les États du Golfe offrent une sécurité économique à ceux qui acceptent leur idéologie.  La perspective d’un bastion arabe poussé par des idéologies fondamentalistes financées de l’étranger est particulièrement préoccupante pour les ambitions de la Bosnie d’être acceptée dans l’OTAN ou l’Union européenne. 

 

Il est clair que la clé d’un avenir en commun est la réconciliation. Le professeur Dzemaludin Latic estime que « nous devons parler de nos propres peurs. Les Croates catholiques doivent comprendre la douleur et la peur des Bosniaques. Nous, Bosniaques, en tant que majorité, devons compatir au sort de ces Croates qui partent, et dont le nombre a été réduit de moitié. Nous devons réaliser quelle sera notre situation si nous nous retrouvons sans le soutien des Croates pour cet État. À quoi pouvons-nous nous attendre ? » La question reste ouverte et les réponses sont peu optimistes en raison des discriminations subies par la minorité catholique et de la croissance inexorable de l’islam radical, 25 ans après la fin de la guerre.