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Le Cardinal John Njue, Archêveque de Nairobi à Chiromo Mortuary, avril 2015

Vivre la foi au Kenya, cinq ans après l’attaque de Garissa

Mgr Joseph Alessandro est l’évêque catholique de Garissa, au Kenya. Missionnaire mal-tais et franciscain, il a travaillé dans ce pays africain pendant un total de 14 ans. Dans cet entretien qu’il a accordé à l’AED, il partage son expérience pastorale de mission-naire au Kenya. Il explique la situation actuelle à Garissa cinq ans seulement après l'at-taque terroriste d’Al-Shabab sur l'Université de Garissa. Propos recueillis par Grace At-tu, de l’AED Malte.

Votre Éminence, vous travaillez comme missionnaire au Kenya depuis de nombreuses années. Pouvez-vous nous parler de votre travail pastoral et de votre expérience ?

J’ai vécu au Kenya pendant environ 14 ans. J’y suis évêque diocésain depuis 2015. Le travail dans mon diocèse est assez unique, car avec une superficie de 143.000 km², mon diocèse est le plus grand du Kenya mais les fidèles sont peu nombreux. Il s’agit d’un semi-désert, très proche de la Somalie à l'est et de l'Ethiopie au nord.

Les catholiques sont très peu nombreux car ils viennent pour la plupart de l’arrière-pays à cause du travail. Ils sont fonctionnaires, enseignants, infirmières, médecins, et certains sont des hommes d’affaires. Même si les catholiques sont très peu nombreux, nous essayons toujours de répondre à leurs besoins autant que nous le pouvons. Dans le diocèse, il y a 7 paroisses, très éloignées les unes des autres. En plus des distances, les routes ne sont ni bonnes ni sûres, surtout maintenant que nous avons été informés que des groupes terroristes avaient commis des attaques sur ces routes.

Nous essayons de faire la catéchèse, et l’année dernière, quelques couples ont fait bénir leur mariage. Ce fut un grand événement dans le diocèse. Nous préparons également leurs enfants au baptême, à la confirmation et à la première Communion. C’est le travail pastoral que nous faisons. Mais il y a aussi l’autre aspect, que certains appellent le travail social, et que je préfère appeler un travail de charité.

Comment décririez-vous la foi de ces quelques catholiques ?

Leur foi est très forte, malgré les défis auxquels ils sont confrontés, vu qu’ils sont dans un environnement majoritairement musulman. Lorsque ces attaques se produisent, les victimes sont toujours des chrétiens de l’arrière-pays, non seulement des catholiques, mais aussi des chrétiens d’autres confessions. Cela pourrait parfois instiller la peur en eux, surtout lorsqu’il y a des fêtes ou des grands rassemblements. Dans ces cas, nous recevons de l’aide du gouvernement. Lorsque nous l’informons de nos activités, il nous assure la sécurité. Le dimanche pendant les messes, la sécurité est également assurée de manière à essayer de créer un environnement sûr pour les fidèles.

Lorsque nous parlons de Garissa, nous associons cette ville à l'attaque terroriste meurtrière qui a eu lieu le 2 avril 2015 contre l'université et les activités d’Al-Shabab. Pouvez-vous nous donner un aperçu de la situation actuelle ?

Oui, cet événement s’est produit il y a 5 ans. Ce fut un événement très triste. Si je me souviens bien, environ 148 étudiants ont perdu la vie. Ils étaient tous chrétiens, de diverses confessions. Ce fut vraiment un choc pour toute la nation, en particulier pour l’Église de Garissa, parce qu’il y avait parmi eux des catholiques que nous étions habitués à voir venir dans notre église le dimanche. J’allais sur le campus universitaire pour célébrer la messe et entendre en confession. Je les admirais beaucoup parce qu’ils étaient très actifs. Lorsque l’attaque s’est produite à l’université, des journalistes sont venus du monde entier dans notre église le dimanche suivant. C’était Pâques, et ils ont interviewé des gens en leur demandant : « N’avez-vous pas peur de venir à l’église ? », et les gens répondaient : « Oui, nous avons peur, mais si nous devons mourir, mieux vaut mourir dans l’église que dans la rue ».

Bien que nous ayons vécu ce drame, nous remercions Dieu que désormais les choses soient presque revenues à la normale, même s’il y a encore quelques attaques sporadiques de ces groupes terroristes dans notre diocèse. Ces deux derniers mois, il y a eu environ 16 de ces incidents et attaques, et quelque 60 personnes ont perdu la vie du fait de ces attaques. 

Comment l’Église répond-elle à cette situation ?

Nous essayons tout d’abord de créer un dialogue avec la population locale. Nous avons une équipe composée de chefs religieux – musulmans, protestants, catholiques, méthodistes, et de quelques autres confessions – et nous nous réunissons régulièrement afin de tenter d’établir un lien entre nous. Si nous voyons que quelque chose ne va pas, nous en parlons entre nous pour éviter que la situation n’empire. Quand quelque chose se passe, comme nous avons déjà ce lien, nous essayons de maintenir le calme dans nos populations. Nous devons aller de l’avant. Nous sommes confrontés à des extrémistes mais tout le monde n’est pas comme ça. Nous essayons donc, pour notre part, d’éduquer notre peuple à faire la différence entre les terroristes et ceux qui ne sont pas des terroristes, même s’ils sont musulmans. Pour leur part, les musulmans essaient de dire à leurs fidèles que les chrétiens sont leurs frères bien qu’il y ait des différences, mais qu’il faut vivre ensemble en tant que frères et sœurs. Je pense que nous essayons de faire de notre mieux.

L’AED s’appuie principalement sur la générosité des bienfaiteurs pour soutenir des missionnaires comme vous qui sont à l’étranger et font l’œuvre de Dieu dans des pays où il est difficile de pratiquer sa foi. Quel message avez-vous pour nos bienfaiteurs ?

Il est vrai que l’Église est universelle et c’est la beauté de l’Église. Non seulement nous professons la même foi, mais nous essayons aussi de nous aider les uns les autres. Il y a des Eglises qui sont matériellement dans le besoin, c’est pourquoi d’autres Eglises les assistent. En retour, les Églises qui fournissent une aide matérielle ont besoin de prêtres, par exemple parce que le nombre de prêtres en Europe et en Occident est en diminution, et certains prêtres des pays qui avaient reçu cette aide peuvent ainsi être envoyés en mission. Il s’agit d’un échange, si bien que l’Église est ainsi très vivante et active. J’ai une grande estime pour les bienfaiteurs. Sans leur aide, je pense que l’Église ne serait pas là où elle est maintenant, parce que nous avons besoin de structures, non seulement pour les écoles, mais aussi pour accueillir les communautés religieuses, les sœurs, et même les prêtres, de même que pour les sustenter. Tout le monde a quelque chose à donner et tout le monde a besoin de recevoir quelque chose.